Les 4000 îles

Encore une fois je boucle mon sac et je rends les clefs. J’ai l’impression que j’ai fais le tour, je vois les jours qui défilent, et je sais que j’ai encore beaucoup de chose à découvrir, plus loin. Avec Daniel on a pris notre temps, quelques habitudes éphémères, et puis tout d’un coup, on s’est dit qu’il fallait continuer car on était là pour ça, pour avancer. On s’est donc dit au revoir, et on a pris deux directions très différentes, après quinze jours de bourlingue commune.

Encore une fois la route était longue. Pour rejoindre les 4000 îles, Si Phan Don en version originale, à l’extrême Sud du Laos, un bus quitte Siem Reap à 5h30 du matin, et reprend la route de Phnom Penh jusqu’à Kompong Cham avant de remonter vers le Nord, en suivant plus ou moins le Mékong. Ça dure quatorze heures au total, pendant lesquelles la musique Lao va me donner des idées de plus en plus noires. Dans le fond de ma tête, oui, un instant, j’ai imaginé faire avaler au chauffeur sa collection entière de disques, ou bien l’attacher à un arbre et les casser un à un devant lui en jubilant à l’écoute de ses cris et de ses pleurs. Au début pourtant, quand j’étais arrivé au Cambodge, j’adorais cette musique, et aujourd’hui j’aime toujours, mais quatorze heures c’était long. Mon MP3 est en panne sèche, mais quoi qu’il en soit le son est trop fort, et le couvrir m’obligerait à me rendre sourd. Le seul moment de répit est à la frontière, pendant l’heure que nous passons à remplir nos demandes de visa. Là, pour la dernière fois, nous glissons un billet de remerciement aux autorités cambodgiennes, qui nous tamponnent aimablement nos droits de sortie.

Encore une fois le Mékong offre de magnifiques paysages. J’avais quitté le fleuve lors de mon entrée au Cambodge ; je le retrouve à ma sortie. Un pays plus tard, il est plus beau que jamais. Nous arrivons au coucher de soleil et admirons le contour de dizaines d’îlots sur un fond de dégradé d’orange.

 

 

Encore une fois, le soir, les bons plans s’échangent autour de nouilles. Pour la première fois pourtant, elles sont accompagnées de Beer Lao. Rencontrés dans le bus, Paco et Alberto, deux gars d’Extrémadure, parcourent l’Asie sans grande logique grâce à Air Asia, sur recommandation de comptoir ou de coin de feu. Ils partagent leurs expériences en lisant un carnet sur lequel ils notent tout, car la mémoire des noms, ils l’ont perdue en même temps que les cheveux d’Alberto. Pour la Thaïlande, je griffonne quelques notes sur le mien et ils me dessinent comme dans un film, une carte avec une île.

Encore une fois il faisait chaud le lendemain matin. C’est en montant sur la selle de mon vélo, que la première goutte a coulé sur mon front. De l’autre côté du pont que j’ai emprunté pour me rendre sur l’île voisine, les rizières sont sèches, car ici, la saison des pluies n’en est qu’à ses débuts. La terre est craquelée, à l’agonie, et le terme chape de plomb peut s’appliquer tant à la chaleur qu’au silence des lieux. Pourtant au détour d’un chemin, un grondement devient perceptible. Je prends sa direction et il s’intensifie. C’est le flux de l’eau, du Mékong, qui crie déjà son envie de rejoindre la mer, sept cent kilomètres en aval. En contrebas, de petites plages offrent un bon moment de détente, loin de l’agitation de notre camp de base.

 

Encore une fois ici nous avons transformés paysages et Hommes, avec nos gros sacs à dos. La pointe Nord de l’île de Don Det est aujourd’hui une succession de restaurants zen à coussins indiens, cybercafés hors de prix, et agences de voyages en carton. Sans dire que le tourisme ait fait semblable les Hommes, il apporte souvent du changement dans des contrées qui parce qu’elles sont belles en profitent pour regarder de mauvais films américains, et d’avoir des amis sur Facebook.

Encore une fois buffles et moines sont au rendez-vous. Malgré tout on continue de prier et de brouter aux 4000 îles. Il n’y a pas que des moutons en maillots de bain. Tout se mélange un peu en somme. Ça rassure d’ailleurs, qu’il n’y ait pas que des ordinateurs derniers cris, et des réseaux sous pressions.

Encore une fois les principales attractions sont offertes par le Mékong. À part une ancienne voie de chemin de fer construite par les français que je n’ai pas trouvée, et de petites balades sur les rives non encore gagnées de bungalowïte vous empêchant de voir le fleuve, les îles du Sud de la zone n’offrent guère d’autres alternatives. À l’inverse, sur l’eau, kayak, rafting, tubing, et excursions en bateau sont possibles. On y observe alors faune et flore, et notamment les derniers irrawaddy, dauphins d’eau douce qui sont tellement plus nombreux que personnes ne les voit jamais malgré le prix du ticket.

 

 

Encore une fois je boucle mon sac et je rends les clefs ; après deux jours seulement. Après mes longues étapes cambodgiennes, je relance la machine, avec une grande envie de Laos, de découvertes et de liberté, pas du tout lassé que le voyage soit une question d’Encore une fois, car ces Encore une fois sont finalement tous très beaux et différents.