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hkg bkk - Balade à travers la Chine, le Vietnam, le Cambodge, le Laos et la Thailande
14 avril 2011

L'arrivée en Thaïlande, ou la longue prise de conscience d'une fin programmée

- Pour le texte en italique, prenez la voix de Sarah, envoyée spéciale. -

 

Les chemises rouges ont depuis hier soir renforcé leur présence aux abords du quartier d’affaires de Sathorn, en plein cœur de Bangkok, la capitale thaïlandaise. Le premier ministre Abhisit Vejjajiva, de plus en plus controversé pour sa gestion de la crise, a promis aux chemises rouges qui accepteraient d’évacuer et ainsi affaiblir le blocus, la  clémence, mais ici, dans ce qui ressemble désormais à un grand camp retranché, personne ne semble croire à cette promesse, et surtout personne ne veut abandonner le combat. La tension monte inexorablement, et il est à craindre que l’affrontement soit inévitable.  

Concernant les étrangers étant en ce moment à Bangkok, les ambassades ont demandés à leurs ressortissants la plus grande prudence, et d’éviter à tout prix la zone de conflit. Il est également conseillé aux voyageurs dont la présence à Bangkok n’est pas indispensable, de différer ou de réorienter leurs voyages vers des destinations plus sûres.

 

Paksé, début mai. Sur l’écran de télévision, posé sur le réfrigérateur du petit restaurant-coin-de-rue où je partage un dernier repas avec Alex et Daisy, les yeux sont rivés sur la belle Sarah, envoyée spéciale pour la BBC, en direct de Bangkok. Certains clients en viennent. Ils disent qu’ils ont senti la pression monter, et vu les premiers affrontements. La situation peut durer longtemps et là-bas tout est fermé. Retour en 2009 : opération ville morte.

 

J’ai encore le temps avant de passer à Bangkok, mais en effet le conflit peut durer longtemps. Je dois commencer à planifier les dernières semaines de mon voyage. Et puis je dois intégrer mes envies, aussi. Je ne suis encore qu’au sud du Laos et j’ai déjà plus ou moins une idée de ma remontée du pays, jusqu’à Luang Prabang, dont j’ai décrit mon séjour dans le précédent article.  

 

« Scènes de désordre à Bangkok », c’est le titre choisi par le Bangkok Post pour sa une ce matin, et c’est dans ce climat plus que jamais tendu que la capitale s’est réveillée. Hier, la violence est réellement montée d’un cran, aux abords de Silom Road, après que le général de division Khattiya Sawasdipol, passé dans le camp des rouges, a été victime d’un tir en pleine tête lors d’une opération menée par les forces de l’ordre. Il lutte en ce moment entre la vie et la mort dans le service des soins intensifs de l’hôpital Hua Chiew, non loin d’ici. Et puis, deuxième évènement marquant, cette explosion qui s’est produite aux environs immédiats du site de rassemblement, dont vous avez pu voir les images dans notre édition d’hier soir, et qui fait toujours l’objet d’une enquête comme l’a rapporté le directeur général de la police royale.

Cela fait maintenant plus de deux semaines que le camp retranché des chemises rouges est encerclé par les forces armées thaïlandaise, et malgré tout, aucune issue diplomatique ne semble pouvoir voir le jour, tant que le premier ministre n’aura pas pris d’engagements clairs quant à l’organisation de nouvelles élections. Son prédécesseur, Thaksin Shinawatra, renversé en 2006 et aujourd’hui en exil en Grande-Bretagne, et dont se réclament les rouges, a déploré la violence qui a conduit aux évènements d’hier, et il a appelé le peuple thaïlandais au calme tout en continuant la mobilisation.

A l’intérieur de la zone occupée, la vie s’est organisée, et on peut parler de véritable petite ville avec son temple, son auditorium, son marché, son dortoir. Mais l’atmosphère bon enfant qui régnait ici en début de mobilisation a totalement disparu, et une de nos équipe qui a pu rentrer à l’intérieur de la zone nous a reporté que c’est la peur et l’angoisse qui se lisent désormais sur les visages.

Le leader des chemises rouges, Nattawut Saikua, a malgré tout appelé l’ensemble des citoyens à résister encore et encore, et à ne pas plier sous la menace d’une action coup de poing évoquée mardi par le premier ministre. Et cet appel a été entendu par la population qui suit grâce aux médias l’évolution de la situation à Bangkok, et qui tente de reproduire dans les villes principales, essentiellement dans le nord et l’est du pays, des actions contre les institutions gouvernementales.

En réponse, ce dernier à fait savoir dans un communiqué de la mi-journée que désormais le couvre feu imposé à Bangkok depuis maintenant deux semaines allait être étendu à l’ensemble des grandes villes de ces régions.*

 

Vientiane, deux semaines plus tard. Les jours se suivent et se ressemblent en moins bien. La situation s’est enlisée. Elle s’est même aggravée. Ne pouvant formuler aucun pronostic quant à l’issue de la crise, je prends la décision de me rendre directement dans le Sud du pays. J’ai envie de plonger, de faire un peu de plage, après cette belle et verte remontée du Laos. J’irai sur une île, probablement. Place au bleu et au jaune, loin du conflit rouge ou gris, qui n’a pas besoin d’un petit blanc n’ayant rien à foutre là au milieu.

 

Bien loin de toute cette agitation, ma route de Luang Prabang à Ko Tao sera donc longue, faite d’attente et de nombreuses heures de transport. Je commence par prendre le bus qui rejoint Luang Prabang à Houay Say, à la frontière entre les deux pays. Il part en milieu d’après midi, pour seize heures de route. Je suis assis à côté de deux moines thaïlandais qui parlent en anglais avec leurs seuls sourires. Le chauffeur est borgne, et assurera l’intégralité du voyage. Il s’arrêtera quelques fois pour manger. A la frontière chinoise (la route n’est pas très directe, regardez sur une carte), on attendra une heure un autre bus, en réalisant quelques efforts physiques de nuit : entre trois heures et quatre heures du matin, on descend des motos du toit, pour les remplacer par d’autres. Le ficelage est exécuté avec précision, signe d’une grande banalité.

 

Sur de longs tronçons la route est défoncée, et la vitesse ne dépasse pas les vingt ou trente à l’heure. On est ballotté, mais pas bercé. Dans le noir du bus, sans autre luminosité que les phares de notre véhicule, nous sommes en apesanteur, et les corps dorment recouvrant de la fatigue accumulée sous l’extrême chaleur de la journée. L’esprit, toujours en éveil, essaye de replacer le corps affalé sur son siège. On se dit que l’on est vraiment au milieu de rien, et c’est grisant de faire ce genre de route. Les voyageurs passent seize heures ensemble, et même s’ils ne se parlent pas forcément, pendant les pauses, tous, même le ronchon du bus, celui avec ses petits yeux pas encore bien réveillés, on sort pour pisser, acheter un petit quelque chose, s’étirer, et on est là à se regarder comme si on s’était toujours un peu connu, et qu’on en a encore pour un petit bout de chemin. On dit deux trois mots en ne pouvant faire mieux qu’attendre que l’équipe du bus en ait fini. Et on repart jusqu’à la prochaine pause, trois heures plus tard, quelques dizaines de kilomètres plus loin. De temps en temps, quand j’en avais marre du noir j’allumais la lumière et j’offrais ainsi à l’équipée de beaux paysages, et quelques cocasseries aux quatre yeux occidentaux embarqués.

 

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Je devrai attendre un jour à Houay Say, pour des raisons de calculs de jours autorisés en Thaïlande. De l’autre côté du fleuve, la Thaïlande justement. J’attends. Il n’y a rien à faire, juste la regarder, en même temps que je regarde pour la dernière fois le Laos, et cette ruelle un peu poussiéreuse. Je me laisse un temps noircir par le soleil, depuis le toit de mon hôtel. Puis, trop fatigué, je retourne me coucher dans ma triste chambre. Sans fenêtre. Avec un édredon incompréhensible par sa présence, ses motifs et sa matière. J’attends encore. Le ventilateur sur sa position la plus forte. Quand je descends après un petit somme, dans le hall de l’hôtel, sont installés le gérant et sa femme sur de fines paillasses. Ils attendent eux aussi, à moitié mort en travers. Certes pas de passer en Thailande mais peut-être ceux qui doivent y passer.

 

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Quand le lendemain je peux enfin passer la frontière, il y a encore un peu de bus jusqu’à Chiang Rai, et une nouvelle journée d’attente, pour des raisons de billet réservé pour le lendemain. Et puis, il y a le couvre feu. Le soir il faut être rentré à l’hôtel avant 20 heures. Les magasins ont fermé tôt. D’autres n’avaient même pas ouvert de la journée. Le marché où il faut aller manger le soir est resté muet et sans odeur. Je me retrouve à l’hôtel avec une poignée d’autres blancs ; on regarde les informations.

 

Comme vous pouvez le voir sur ces images, l’aéroport de Bangkok est toujours en fonctionnement normal, on ne ressent pas ici la tension bien présente dans le quartier de Sathorn et plus généralement au centre ville, si ce n’est peut-être une affluence moindre qu’à l’accoutumée, étant donné que de nombreux voyageurs ont préféré faire escale à Kuala Lumpur plutôt que dans la capitale thaïlandaise, craignant que l’on assiste à nouveau à un blocus type celui de l’année dernière.

 

Cela tombe bien. Pour rejoindre Ko Tao, je dois prendre deux avions. Le premier pour Bangkok, le second pour Surat Thani, sur la côte Est de l’isthme qui descend vers la Malaisie. Pendant mon escale, j’observe l’aéroport de Bangkok se contrefoutre de ce qui se passe dans le centre. Il y a des anglaises très certainement, et même leurs jambes ne me coupent plus l’appétit. Je mange un sandwich.

 

Il est neuf heures du soir lorsque j’arrive à Surat Thani. Le voyage n’est pas fini. Il reste un moment épique. Je dois rejoindre le port pour embarquer sur un bateau à destination de l’île. Quand j’y arrive, on m’annonce qu’il n’y a plus de place, mais qu’on peut peut-être s’arranger. Avec trois autres voyageurs, nous décrochons les derniers sésames, et les matelas les plus pourris du bateau, un grand moment nautique.

 

Ils nous sont cédés par l’équipage qui va alors devoir s’allonger sur des sacs de ciment empilés à l’arrière. Nous dormirons à leurs pieds, juste au dessus du moteur, à côté de la pataugeoire qui sert de toilettes ; là où viennent se regrouper entre quelques bidons d’eau douce les jeunes routards pour fumer leurs cigarettes et vider quelques bouteilles de bière. La nuit sera courte. Le confort réduit. Mais cette situation est plaisante. Le bateau fonce dans la nuit, sur une mer étale, dans un bruit assourdissant, loin des problèmes qui ne sont pas les nôtres. Les gars de l’équipage jouent les caïds. Deux cent blancs que l’on a fait monter sur cette pirogue sans gilets de sauvetage, c’est un tour de force qui donne confiance. On se tait car on sait qu’il est facile de se faire jeter à l’eau et paraît-il qu’en Thaïlande il y a des requins. On est tous entassés, serrés, on déborde sur les minces allées qui ne sont pas matelas. Le sol y est mouillé, on tente de caser un sac en guise d’oreiller, de ne pas mettre nos chaussures sur la tête du voisin. Et cela nous fait rire, car on n’a pas à se plaindre, nom de nom, et que for God’s sake, on a évité l’anglaise qui parle fort à côté, celle qui te parle mais que tu ne comprends pas toujours, parce que décidément l’anglais d’Angleterre (Royaume-Uni au sens large) est certainement le plus difficile.

 

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Le lendemain matin, à l’arrivée sur l’île, les mines sont fatiguées. Je n’ai dormi que deux heures. Le soleil s’est levé et fait miroiter la surface de l’eau avec intensité. Après 84 heures de route, j’arrive sur le lieu de ce que j’appelle enfin vacances, avec mon ciel que je voulais bleu, et mon sable divinement blanc. Et, aussi, un ami jaune, rencontré lors de l’achat des derniers matelas à Surat Thani, qui fraîchement débarqué de son Japon natal, vient passer sa semaine de congé annuel dans les îles du golfe. Ce sera donc pour moi aussi les vacances, avec un temps encore plus limité que jamais, et un sourire retrouvé.

 

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Plus tard, alors que je faisais des recherches sur la toile pour le bien des paragraphes en italique, je suis tombé sur des articles datés de la mi-septembre dans lesquels il était indiqué que les chemises rouges s’étaient rassemblés au carrefour de Ratchaprasong, au milieu des vestiges des violences du printemps, ainsi que dans d’autres villes du nord, notamment à Chiang Mai. Tout cela s’était un peu pacifié, mais la troupe rouge dénonçait toujours les 90 morts qu’avait causé le conflit, et la détention encore actuelle des leaders du mouvement. A la mi-novembre, des jaunes étaient toujours au pouvoir, sans que leur appartenance à la couleur soit officiellement reconnue, exécutant toujours des opérations « douteuses » d’après les auteurs. Rien n’avait changé. Mais finalement, pour être honnête, sans dire que je m’en foutais, je crois qu’une fois arrivé sur mon île j’avais oublié la situation, comme ça juste en passant, pour ne pas dire diluée dans l’eau turquoise de la fin de ce que j’ai parfois appelé rêve, parfois voyage, parfois prison, parfois rencontres, parfois pérégrination. Je n’en ai plus rien voulu savoir, sans m’en rendre compte, le temps d’un long été.

 

* Dans l’oreillette : « Sarah, c’est bien tout ça, mais faites des phrases plus courtes quand vous êtes à l’antenne. Soyez concise bordel ! »

 

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Commentaires
T
Génialissime. L'Asie est au programme de nos destinations à venir. Et votre page nous rend très impatients.
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