Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
hkg bkk - Balade à travers la Chine, le Vietnam, le Cambodge, le Laos et la Thailande
31 décembre 2011

Phuket (censuré)

Lorsque j’ai bouclé mon sac le jour de mon départ de Ko Phi Phi, je rentrais à la maison. J’ai pris un bateau pour Phuket. Là, j’avais un jour et demi pour faire des cadeaux et attendre mon avion pour Bangkok. Autant vous dire de suite que vous ne verrez pas de photos de Phuket. Depuis le début de mon aventure pourtant, je me promène en photographiant presque tout. Les images ne sont pas toujours belles, mais leur seul but est de rendre compte. De faire voir. De faire partager ce que des yeux simples ont eu devant eux. J’ai dû me rendre à une évidence pas si certaine : le côté artistique me viendra peut-être un jour. Au cours de ce voyage je photographiais donc instinctivement dès que quelque chose ou quelqu’un se présentait avec une part de particularité, de beauté, dès qu’il y avait quelque chose que je ne comprenais pas ou dont je n’avais pas l’habitude, dès qu’il y avait des couleurs, des profondeurs. Pour pouvoir saisir ces moments qui peuvent survenir à tout instant, l’appareil était trimbalé négligemment dans ma poche. Je pouvais le sortir en une seconde, l’allumer et appuyer sur le bouton. Attendre une seconde et appuyer à nouveau. Ce traitement a d’ailleurs valu qu’une poussière se glisse très tôt dans mon voyage à l’intérieur même de l’objectif. Il m’était alors impossible de faire une photo sur fond clair. Encore moins avec zoom sur fond clair. Je devais toujours positionner cette tache sur une zone d’ombre, ne pas la faire grossir. Mes clichés étaient limités. Mais j’avais oublié l’art. J’ai vite accepté mon rôle de petit témoin. Prendre ce que l’on voit, tout simplement. Ne pas magnifier, ne pas essayer de rendre beau. Figer les choses. A Phuket pourtant il m’est apparut peu évident d’aller figer ces choses-là. Malgré mon principe que tout mérite d’être vu, c'est-à-dire qu’il faut se laisser la possibilité de voir et après celle de juger, j’ai décidé de ne pas montrer Phuket. Qu’y aurais-je d’ailleurs montré, si ce n’est des putes et des proxénètes ? Ce qui se passe à Phuket doit rester à Phuket. Non pas qu’il faille faire un mystère de ce qui se passe là-bas, non pas qu’il faille susciter la curiosité, simplement que j’ai toujours eu du mal à photographier les putes et les proxénètes (qui du reste se cachent bien, ou pas, puisqu’un gérant de bar est bien souvent un proxénète), et que mon appareil fait de très mauvaises photos quand il est dans la nuit. Il faudra vous contenter de mots, lesquels auront été je l’espère bien choisis.

Malgré cette orientation donnée à cette introduction, Phuket n’est pas que putes et proxénètes, et ouverte la nuit. Phuket est en fait une grande île, qui fait la taille d’un terrain de football de 50 kilomètres de long sur huit de large. C’est donc un terrain où il faut tous les types de joueurs. Sans oser la comparaison aux gardiens de buts, défenseurs, milieux ou attaquants, je vais dire que des touristes il en faut à tous les postes, car il y a des entraîneurs (dans le sens de qui vous incitent) à la pelle. Il y a donc différentes façons de « jouer » Phuket. Vacances sur les ailes, sur la défensive des plages condamnées désertes par les 5 étoiles, ou, sur les collines gardées de la charnière centrale pour ceux qui veulent garder le contrôle en prenant de la hauteur. Vacances au milieu de ceux qui ont pas mais qui sont pas venus pour ça, et qui se replient sur des tours en bateau cargo, des plongées en palmes usées, le truc simple pas loin d’un aéroport qui n’est qu’à 400 euros de nos capitales. Et offensives, enfin, voire offensantes. C’est là que j’ai débarqué, en tête plongeante, à Patong. Au milieu des gens perdus, sans le sou, mais avec des putes sous les fenêtres comme s’il en pleuvait. C’est étrange parce que si je suis arrivé là, dans le quartier de Patong, c’est parce que je me suis fait conseiller Patong par un couple d’ardéchois blancs d’une cinquantaine d’année et une jeune infirmière noire de la région parisienne qui n’avaient rien de pervers. Des profils sûrs, à première vue. J’aurais dû pourtant me méfier puisque ce sont ces mêmes personnes qui m’ont conseillé de rester une nuit à Krabi. 

Depuis la terrasse de mon petit hôtel, à quelques rues de « LA » rue, nous parlons avec elles par-dessus les 4x4 qui passent. Celles-là, personne ne vient les prendre. En essayant d’être pragmatique, je me dis que c’est par ce qu’elles sont trop loin du centre. Les ballons n’y arrivent pas. Les transversales sont stoppées contre les façades des bars leaders placés en opposition. Mais cet argument ne tient pas. Les fesses ont là. Installées sur des tabourets en faux cuir blanc, sur un bout de trottoir. Elles sont pas forcément belles. Il y a des sentiments contradictoires. Celui animal, l’autre moral. Elles traversent pour s’installer à votre table. La gérante de l’hôtel ne dit rien. Elle laisse faire. Elle demandera un billet si deux personnes montent. Sa sœur tient un salon de massage qui occupe un petit local donnant directement sur la réception. Tout est plus ou moins lié. Parmi les putes il y en a des qui, sans dire qu’elles ont douze ans, ne permettent pas d’être sûr qu’elles en ont suffisamment. Sans dire qu’il y a un âge où c’est bon, on peut faire la pute tranquille, il y a un âge que c’est mieux de dépasser, pour comprendre ce que l’on fait vraiment. En discutant avec elles, j’ai retrouvé mon côté journaliste raté. Comme un petit Bernard de la Villardière, en quêtant sans relâche sur les réseaux. Au plus fort de mon investigation, j’ai réussi à faire cracher à la plus jeune pute ce que je voulais entendre pour pouvoir l’écrire (même si c’est pas obligatoire) : "To feed my family". Pas besoin de prendre la peine d’écrire la question car vous l’avez comprise, et on tenait notre sujet. Info ou intox, on s’arrache.

Pour retrouver la route de l’aéroport, celle de notre retour à tous, avec toutes les images que j’ai choisi de censurer puisque de toutes façons vous les avez déjà vues sur Enquêtes exclusives, je dois arpenter les rues de la ville. Le quartier de Patong en fait. J’évite une des boutiques à T-shirt, je passe devant un Mac Do (tiens ! le premier depuis Kunming !), je longe la plage, j’affronte les taxis, un tailleur indien me propose des chemises sur mesures, je passe devant un Burger King (tiens ! le premier depuis Hong Kong). La boucle est bouclée. Je m’installe sur une terrasse de LA rue principale. Il est 9h30. J’ai envie de manger un Club Sandwich avec de la mayonnaise et de boire un Coca. En attendant ma commande, je lis la presse sportive. Les textes y sont orientés football anglais. Celui que tout le monde aime. Moi en tout cas j’aime le football anglais. Les joueurs sont proches du public et ils boivent une bière après le match.

Alors que je mangeais, j’observais, comme d’habitude. Le soleil reflétait déjà sur les enseignes des bars, et la vie reprenait son sale train. Sur ma droite il y avait une table occupée par un couple sans doute allemand. L’homme semblait être à la retraite, comme beaucoup d’autres. Il avait une chemise à rayures grises qui sortait d’un bermuda beige plutôt ample, rattaché par une ceinture en cuir marron. Il portait une casquette bleue marine dont la visière droite m’empêchait d’identifier clairement l’inscription qui avait été brodée dessus par un sponsor, avec des fils ors et blancs. Aux pieds, des chaussettes grises relativement neuves apparaissaient sous les lanières de sandales à scratch un peu fatiguées. Il portait une fière moustache et des pommettes joyeuses. Il avait visiblement un grand appétit. Le tout n’était pas très harmonieux. En face, une femme, vraisemblablement sa femme. Comme lui, elle avait dû prendre quelques kilos durant ces premières années de retraite et n’avait pas de complexes apparents, comme les allemands savent bien le faire. Elle allait nu pied dans des sandales blanches sur lesquelles des fleurs en plastique violettes avaient été attachées. Sa visière transparente était accordée aux fleurs des sandales ce qui laissait penser qu’il y avait quand même eu une attention portée sur l’accoutrement avant de sortir dans cette rue. Elle feuilletait un guide de la Thaïlande, similaire au mien. Quand elle croquait dans son pain, elle devait avoir la même tête que moi. On était pareil elle et moi. La seule différence est qu’elle semblait amoureuse de l’homme en face d’elle. Moi je n’avais personne. Lui avait dû la veille au soir, avec à son bras sa femme, regarder lors de la promenade nocturne, les cuisses, les fesses, les interstices, la jeunesse. Moi j’avais vu de belles plantes s’agiter dans des bocaux éclairés, s’élevant autour de tuteurs au dessus d’herbes folles et cramées.

J’ai vite compris que ces gens n’étaient ni joueurs ni remplaçants, pas plus et pas moins que moi. Ils étaient sûrement arrivés là eux aussi un peu par hasard et n’avaient pas envie de se charger plus la conscience avec des questions de principe. Ils étaient bien là. Ils mangeaient bien, il y avait du soleil, et finalement pour eux, les putes n’étaient que là où elles étaient, et Phuket était un lieu où il y en avait plus peut-être que nulle part ailleurs. Ils devaient avoir la conscience tranquille j’en suis sûr. Je me suis demandé à un moment ce qu’ils pouvaient bien penser. Et j’ai pensé que peut-être ils avaient le sentiment de pouvoir s’en foutre parce qu’ils avaient eu et fait tout ce que finalement il est bien de faire dans une vie, sans (se) faire plus de mal. L’argument suffisant. Des enfants sans doute déjà grands et qui avaient réussis, une belle carrière ou tout du moins une vie professionnelle respectable, quelques associations caritatives. Ça doit bien leur permettre de venir s’en foutre dans ce genre de coin. Parce que c’est facile tant c’est peu cher. S’ils sont aussi sereins par rapport au décor végétal, et à toute la faune qui s’y faufile, c’est qu’ils pensent avoir mérité de s’en foutre, tout simplement.

Pour moi, la chose est autre. Je ne sais pas si j’ai mérité d’être là (comme si quelqu’un le méritait ! Cette phrase est con, c’est un peu comme si Phuket était un but à atteindre ou un juge qui dirait « ok toi c’est bon t’en as bien chié dans ta vie alors viens voir les putes c’est ce qu’il y a de plus beau »), avec le peu que j’ai fourni dans ma relativement jeune vie. Non, la question est ai-je suffisamment fourni pour pouvoir avoir l’impression que je peux m’en foutre ? La réponse est évidemment non, mais comme est arrivée la fin de mon voyage, pour ne pas culpabiliser par rapport à celui-là, je dois quand même bien savoir si j’en ai profité, si même ça je ne l’ai pas raté, si j’ai eu raison de partir, si je n’ai volé la place de personne, et si j’ai été correct. C’est difficile à dire. Oui bien sûr j’ai passé du bon temps, vu de belles choses, mais en ai-je profité comme vous l’auriez fait vous ? Je ne sais pas. Doit-on d’ailleurs tous profiter de la même façon ? Pas sûr. Pour moi, ce voyage a été profitable, même si, le lecteur régulier que vous êtes peut-être sait que ça n’a pas été si facile tout le temps pour moi. Au milieu des putes qui commencent à réinvestir les bars voisins, je dresse mon bilan, je me pose des questions que je ne me serais pas posées aussi rapidement, et puis le couple d’allemands se lève. Il est vite remplacé par une famille russe avec deux bambins d’à peu près sept et dix ans. Il est 10h30 et je ne sais plus trop où j’en suis. Je suis à Phuket.

Publicité
Publicité
Commentaires
hkg bkk - Balade à travers la Chine, le Vietnam, le Cambodge, le Laos et la Thailande
Publicité
Archives
Publicité