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hkg bkk - Balade à travers la Chine, le Vietnam, le Cambodge, le Laos et la Thailande
22 avril 2010

Saigon, 40 ans après

C’est grand Saigon. Quand je vois sur la carte ce que j’ai parcouru par rapport à la ville, ce n’est pas loin du ridicule. En fait, je ne voulais pas rester longtemps à Saigon, dans l’optique de profiter du Delta du Mékong, par lequel je rentrerais au Cambodge. Ce fut donc une escale technique pour ainsi dire, de quoi acheter le nécessaire et préparer l’itinéraire. Ce que je vais vous raconter de Saigon nous fait en fait remonter une quarantaine d’années en arrière, quand le Vietnam devait ressembler à un gruyère que l’on voulait décaper à l’acide pour une histoire de pensées politiques.

Lorsque j’arrive à Saigon je visite quelques hôtels, mais rien de concluant. Je tombe sur une dame qui me dit qu’elle a une chambre pour moi. Je la suis en pénétrant dans de minuscules ruelles, et j’arrive chez elle. Son mari me montre la chambre. Elle est bien : je la prends. Je ne tente même pas de négocier car le prix est très raisonnable comparé à ce que j'ai vu avant, et cette famille ne semble en plus pas avoir grand chose. L’homme m’invite à boire un thé glacé au citron avec eux, après avoir posé mon sac à l’étage.

C’est alors que je l’aperçois, aplati de tout son long sur le sol, gisant là, avec cette tête qui est rattachée à quelque chose que j’aurais du mal à qualifier d’épaules, un bassin qui tire sur une peau si fine que l’on n’ose pas regarder de peur que cela se déchire devant nos yeux. Je lui donne entre quinze et vingt ans, mais c’est difficile à dire, et à la limite je ne lui en souhaite pas plus à vivre. Le soir venu, alors que je m’apprête à sortir dîner, j’entends depuis ma chambre des gémissements. Je comprendrai quelques minutes plus tard en descendant, que c’est pour lui l’heure de la becquée, car il n y a pas d’autres mots, et que déglutir est pour lui une telle souffrance, que ce pauvre garçon n’a même pas le plaisir de la bouffe. Ses muscles étant pour lui aussi inutiles que les « h » de handicapé, horreur et histoire, il a la joue droite écrasée sur le carrelage et on lui fourre une cuillère de compote dans la bouche, entre deux cris venant du plus profond de son corps chétif.

Le soir quand je rentre, je toque à la porte et on se lève pour m’ouvrir. La famille est allongée dans ce petit espace entre la porte et le téléviseur, et seule la clarté du décors d’une sitcom petit budget me permet de poser délicatement mes pieds dans les espaces libres en direction de l’étage. Alors que je prends appui sur la première marche de l'escalier, je le vois, sous ce dernier, étendu comme auparavant. La famille aussi dort sur le carrelage pour profiter de la fraîcheur du matériau, mais lui n’est pas avec eux, à regarder le programme pour trouver le sommeil. Ce gosse est différent, mine de rien.

Une fois dans ma chambre, moi aussi je décide de regarder un peu la télé. Comme souvent quand j’en ai l’occasion, je mets TV5, et comme par hasard, juste après le journal, il y a un reportage sur la maternité de Saigon. Le journaliste nous dit que c’est une véritable usine à gaz tellement les naissances sont nombreuses. On y naît sous des numéros qui apparaissent sur des écrans pour indiquer à la salle d’attente, que c’est fait, et que l’on peut passer au suivant. On nous informe aussi qu’ici le taux de malformation est terriblement supérieur à la moyenne nationale et bien plus encore à la moyenne planétaire. Cela serait dû, nous dit-on, à ces défoliants que l’on a pulvérisés au dessus des villes et des champs pour éradiquer un courant politique comme on aurait voulu éradiquer des pucerons ou de mauvaises herbes. La poudre ne suffisait pas, il fallait d’autres moyens : ceux qui allaient non seulement condamner ceux qui étaient présumés coupables de penser différemment, mais aussi les populations suivantes, en cas de rechute. Nous sommes en 2010, et au Vietnam, des nouveaux-nés continuent de voir le jour avec d’insoutenables vies à vivre. La guerre, le Vietnam en garde des traces bien plus ancrées qu’une balle dans la peau, c’est le matériel génétique qui est touché, cela se passe au cœur de chacune des cellules. Tous punis.

A l’écran, je vois des gamins pas comme ceux que l’on voudrait voir. Ils ont tous quelque chose de différent : juste un tissu de peau qui couvre les yeux, s’il y en a derrière, des membres atrophiés, des peaux pourries, il y a aussi des insuffisants respiratoire, des visages déformés comme dans le film que vous savez, et tous me rappellent des visages, des corps que j’ai croisé tout au long de ma longue descente du Vietnam, des visages et ces corps que je remarquais, mais qui isolés ne m’avaient pas fait remonter jusqu’à l’origine du problème. 

A Saigon, je n’ai pas eu besoin d’aller visiter les tunnels de Cu Chi et tous les musées qui sont là pour nous rappeler, que c’est vraiment trop con la guerre.

 

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